Un poème de Rudyard Kipling (1865-1936).
Ce poème, intitulé Le pouvoir du chien, explore l'attachement profond et inévitable que nous développons pour nos chiens, malgré la douleur inévitable de les perdre. Kipling s'interroge sur notre tendance à s'attacher, sachant bien que chaque amour est accompagné d'une part de souffrance.
Le texte montre l'ironie d'un amour « prêté seulement », où nous savons dès le début qu’il faudra payer la « dette » du chagrin. Il décrit comment cet amour, qui semble à la fois futile et nécessaire, entraîne un lien puissant, malgré la certitude que la perte viendra. Kipling souligne la complexité de la relation avec un animal qui, même après avoir causé de la peine, nous incite sans cesse à réitérer cet attachement. C’est un poème qui dépeint l’amour des animaux comme une forme de servitude volontaire, poignante, douloureuse, et pourtant inévitable.
Quand renoncerons nous enfin à nous attacher à un chien ?
À chaque jour suffit amplement le chagrin
Que vaut à tous les hommes leur amour du prochain;
Pourquoi donc en dépit de cette certitude
Voulons nous ajouter à notre servitude?
Croyez-moi, ça ne mène à rien
De trop s’attacher à un chien.
Acheter un chiot vous rend propriétaire
D’un amour absolu parfaitement sincère
Une passion totale. Vous payez votre dette
D’un coup de pieds dans les côtes, d’une caresse sur la tête
Pourtant ce n’est vraiment pas bien
De trop s’attacher à un chien.
Quand l’asthme ou la tumeur, ou le spasme clôture
Le laps de quatorze ans qu’accorde la nature,
Que le vétérinaire tacitement prescrit
La piqûre mortelle ou le coup de fusil,
Vous sentez la force des liens
Qui vous attachaient à ce chien.
Lorsqu’à jamais se taisent les abois d’amitié
De celui qui faisait vos quatre volontés,
Lorsque vous abandonne définitivement
Celui qui partageait votre humeur du moment,
Vous recommencez néanmoins
De vous attacher à un chien.
Nous avons largement notre part de chagrin
Quand il s’agit de mettre en terre notre prochain,
L’amour n’est pas donné, mais prêté seulement:
L’intérêt composé se monte à cent pour cent.
La douleur que cause la mort d’un être aimé
N’est pas fonction du temps passé à ses côtés;
Lorsque vient le moment de payer l’échéance,
La durée de l’emprunt a bien peu d’importance.
Quand renoncerons nous enfin
À nous attacher à un chien ?
Rudyard Kipling - Le pouvoir du chien.